Le Maroc empêche le journaliste Ali
Lmrabet d’exercer son métier en refusant de lui délivrer des papiers d’identité
Collectif
Sous un soleil
caniculaire, un homme a planté sa tente à Genève face à l’édifice des Nations
unies. Cet homme est un journaliste marocain. Il ne demande pas d’asile
politique, ne cherche point l’obtention d’une aide matérielle, et s’il a décidé
d’entamer le 24 juin une grève de la faim illimitée, c’est parce qu’il estime
que les Nations unies sont le dernier recours qui lui reste pour se protéger
des abus commis par son pays. Les revendications d’Ali Lmrabet sont simples. Il
demande le renouvellement de ses papiers d’identité marocains, et de pouvoir
relancer, chez lui, au Maroc, ses journaux satiriques interdits en 2003. En
2005, Ali Lmrabet se voit interdire l’exercice de sa profession pendant dix
ans, une peine qui n’existe nulle part ailleurs, pour avoir eu le courage de
déclarer que « les réfugiés sahraouis de Tindouf sont des réfugiés, selon
l’ONU, et non des séquestrés », comme l’affirment les autorités marocaines. Sa
peine vient de s’achever le 11 avril. Il croyait pouvoir reprendre ses
activités. Il avait tort. Depuis le 20 avril, il lui est impossible d’obtenir
de nouveaux papiers d’identité. Et sans ces documents, il ne peut pas reprendre
ses activités.
JOURNALISTE
ICONOCLASTE ET INCLASSABLE
Ali Lmrabet a joué
un rôle important dans le développement d’une presse critique et indépendante
au Maroc. En 1998, du vivant du roi Hassan II, il a eu l’audace d’interviewer
le vieil opposant politique Abraham Serfaty, alors exilé en France. Quelques
mois plus tard, il récidivait en donnant la parole à Malika Oufkir, la fille du
général qui avait tenté de renverser le même roi et dont la famille avait été
séquestrée pendant de longues années dans différents bagnes du royaume. Ancien
élève musulman de l’Alliance israélite universelle de Té- touan, Ali Lmrabet
n’a jamais caché que, sans la générosité de la communauté juive de sa ville
natale, il n’aurait jamais, lui, le fils d’un concierge, eu accès à une
instruction de qualité. C’est donc sans la moindre hésitation qu’en 1998,
bravant les mises en garde, il alla interviewer le premier ministre israélien.
Une première pour un journaliste maghrébin, et peut-être même arabomusulman. A
l’été 2000, il est monté dans une embarcation de fortune pour traverser de nuit
le détroit de Gibraltar en compagnie d’immigrés clandestins. Le récit qu’il en
tira fut salué par ses confrères étrangers et publié par le quotidien espagnol
El Pais. Lauréat d’une douzaine de prix internationaux, il a été distingué en
2014 comme l’un des « 100 héros de l’information » par Reporters sans
frontières. Les autorités marocaines ont bien tenté par divers moyens de
l’empêcher de faire son métier. Fermeture de l’hebdomadaire Demain en 2000, le
premier newsmagazine de l’histoire de son pays, condamnation à quatre ans de
prison ferme en 2003 (une peine ramenée à trois ans en appel), et interdiction
définitive des deux hebdomadaires satiriques qu’il dirigeait : Demain Magazine
et Doumane. On peut apprécier ou non le travail de ce journaliste. Par contre,
il est inadmissible que le Maroc le prive de documents d’identité pour faire
taire sa voix.
¶ Elisabeth Badinter, philosophe ; Jonathan Littell, écrivain, Prix
Goncourt et Grand Prix du roman de l’Académie française ; Ricardo Gutierrez, secrétaire général de la Fé- dération européenne
des journalistes (FEJ) ; Jean-Marcel
Bouguereau, journaliste, ancien rédacteur en chef du « Nouvel Observateur »
et de « Libération »
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